top of page
  • Photo du rédacteurCamille Prost

Rencontre avec Emmanuelle Lempereur ou une certaine idée de la transmission de l'Expérience Opéra...


J’ai rencontré Emmanuelle Lempereur à l’Opéra de Lille en 2014. J’étais alors chargée des relations avec les publics, c’était mon premier poste au sein d’une institution, je venais de soutenir ma thèse de doctorat et elle, était « enseignante missionnée ». Nous avons travaillé main dans la main, pendant plusieurs années, notamment sur les ressources pédagogiques liées aux productions d’opéra de chaque saison. Les années ont passé, le travail d’Emmanuelle a évolué et j’ai, de mon côté, quitté Lille pour vivre d'autres expériences, jusqu’à fonder, en 2019, Calamus Conseil. Cet été, en repensant à cette collaboration, j’ai eu envie de mettre en lumière le travail de ces enseignants et enseignantes qui œuvrent, dans l’ombre, aux côtés des équipes administratives des structures culturelles. Ils passent un temps considérable à produire des contenus, souvent de grande qualité, et sont un lien essentiel entre le monde éducatif et le monde culturel. Rencontre (pour vous). Retrouvailles (pour nous).


Emmanuelle, que signifie précisément être « enseignante missionnée » au sein d’une institution musicale ? Quel est ce statut ?

Oui, il est vrai que le titre est un peu mystérieux ! La mission, gérée par la DRAEAC (Délégation régionale artistique pour l’éducation artistique et culturelle) et les IA-IPR du rectorat, consiste à créer des liens entre une institution artistique ou culturelle et l’Éducation Nationale ; la faire rayonner auprès de publics scolaires, c’est-à-dire les spectateurs de demain.

On peut comprendre aisément que certains enfants ne mettront hélas jamais un pied dans une salle de spectacle ou un musée. Le rôle de l’école est aussi de remédier à cette injustice. Le professeur missionné auprès d’une structure transmet les modalités d’accueil (Pass culture), accompagne la construction de projets, et prépare souvent des documents pédagogiques spécifiquement conçus pour faciliter le travail des enseignants. En musique par exemple, dans la région, l’Opéra de Lille, l’Atelier lyrique de Tourcoing, le Concert d’Astrée, L’Orchestre National de Lille et le Bateau-feu de Dunkerque bénéficient, chacun, d’un enseignant très engagé dans sa mission.


Comment cette mission a-t-elle démarré ? Et quelle organisation as-tu mis en place, au fil des ans ? 

En tant qu’enseignante en Éducation musicale et chant choral, j’avais l’habitude d’emmener mes élèves à l’Opéra de Lille et de casser l’image injuste qu’ils associaient à l’Opéra : trop vieux, ennuyeux, trop cher... Et c’était toujours une réussite ! J’ai eu aussi l’occasion de participer au partenariat entre le collège dans lequel j’enseignais et le Concert d’Astrée d’Emmanuelle Haïm qui venait de s’installer en résidence à l’Opéra de Lille. C’était de magnifiques expériences que je souhaitais poursuivre. L’Inspecteur d’Académie de l’époque m’a demandé de reprendre cette mission portée vacante. Je l’ai acceptée en 2014 et l’ai quittée en fin de saison 2023.

Au début, je bénéficiais de 3h de décharge sur mon temps complet de service, qui sont rapidement devenues 2h. Puis elles ont évolué en heures supplémentaires. Cela signifie concrètement qu’en plus de mon service complet au collège, et de cette mission, je réalisais des dossiers pédagogiques de plus en plus complets qui demandaient bien plus que 2h par semaine. (Écouter un opéra une seule fois dure déjà en général 3h…)

Lorsque j’ai changé d’établissement en 2022, réaliser cette mission en plus de mes 20h de service devenait trop chronophage. Cela restait un vrai plaisir mais aux dépends de mes séquences de cours que j’aime renouveler. J’ai donc fait ce choix en 2023.


Quelles relations as-tu entretenues avec les équipes de cette structure, en particulier les chargé.es de relations avec les publics ?

Tellement excellentes ! C’est d’ailleurs pourquoi ce choix a été douloureux. L’Opéra de Lille a le don de trouver des attachées aux relations avec le public à la fois sympathiques, souriantes, réactives et compétentes. J’ai le souvenir de magnifiques collaborations avec Claire Cantuel, Marion Dugon, Léa Siebenbour. L’équipe en place actuellement : Delphine Feillé, Bénédicte Dacquin, Deborah Truffaut, Marion Tinoco, n’échappe pas à cette règle et c’est un vrai plaisir de les rencontrer régulièrement encore aujourd’hui.

Bien sûr, je ne t’oublie pas Camille. Notre collaboration sur les dossiers pédagogiques était à la fois enrichissante et agréable : autour d’un thé, nous cherchions à les rendre accessibles au plus grand nombre, en gardant à l’esprit l’exigence incontournable liée aux chefs d’œuvre du répertoire que nous présentions. Nous discutions des heures de Wagner, Puccini, Mozart, Verdi sans oublier le Roi Carotte d’Offenbach : un grand moment !

Le Roi Carotte - mise en scène de Laurent Pelly © Stofleth


Qu’as-tu préféré pendant toutes ces années ?

Eh bien, ces relations privilégiées que je viens de décrire, qui se sont approfondies au fil des saisons, ainsi que la grande liberté qui m’était donnée dans la réalisation des dossiers pédagogiques, à la fois sur la forme et le fond. Et puis aussi, ce moment où seule avec l’œuvre, le travail devient plaisir ! J’adore être dans le flow quand la concentration est optimale, et que la pensée s’éclaire. Entrer dans une partition, comprendre le travail vocal et l’orchestration, repérer et suivre les thèmes, annoter et colorer, et bien sûr, suspendre l’écriture pour écouter et vibrer au son des plus grands talents. Découvrir aussi de très belles mises en scène actuelles, sensibles et intelligentes qu’on quitte avec nostalgie lorsque le rideau se ferme, comme un bon livre où l’on s’était attaché aux personnages.

J’ai aimé aussi partager ces émotions avec l’équipe de l’Opéra, discuter des goûts, des choix du metteur en scène et /ou du chef d’orchestre.


Ce fut aussi l’occasion d’emmener tes élèves à l’Opéra. Quels sont tes plus beaux souvenirs avec eux ?

On a 2 heures ? Non ? alors en vrac : les larmes des élèves à la tombée du rideau de Madame Butterfly de Puccini ; les 5 heures de représentation de Giulio Cesare de Haendel dans la magnifique mise en scène de David McVicar qui faisaient, tellement peur aux professeurs accompagnateurs, soucieux de ne pas s’endormir, qui ont filé sans temps morts ; Les pêcheurs de perles de Bizet et les élèves captivés par la grâce de la mise en scène et des chanteurs ; La cruauté et l’indignation ressentie à la fin du Nain de Zemlinsky ; l’euphorie partagée des danses dans Idoménée de Campra ; le rythme effréné de Falstaff de Verdi.

Je voudrais aussi parler des rencontres avec les chanteurs(ses) d’opéra jamais avares de leur temps. Les élèves se souviennent par exemple de leur rencontre avec Josef Jacob Orlinski dans Rodelinda de Haendel et cette année d’Héloïse Mas dans le rôle travesti du Prince Orlofski dans la Chauve-Souris de Strauss. Tous les suivaient ensuite sur les réseaux sociaux ! Je n’oublierai pas non plus cet élève qui est rentré dans la salle de l’Opéra et qui a fondu en larmes, ni cet autre tellement subjugué par un Opéra seria baroque, pourtant pas si évident au premier abord, qu’il a invité sa mère pour qu’elle découvre elle aussi cet univers. La liste est très longue, et cette année, j’ai eu la chance d’emmener 32 élèves assister à la représentation de la Chauve-Souris de Strauss qu’ils ont adoré à l’unanimité, heureuse d’avoir contribué aux débuts de futurs spectateurs d’opéra.


Souvenirs au fil des ans


Depuis peu, donc, ton travail pour l'Opéra de Lille a évolué. Peux-tu me parler de cette nouvelle forme de collaboration ?

J’ai donc mis fin à cette mission pourtant passionnante fin juin 2023. Sabine Revert, responsable du pôle des publics de l’Opéra de Lille m’a demandé dès la rentrée d’engager une nouvelle forme de collaboration, moins chronophage et différente. Il s’agit de réaliser une écoute commentée d’une heure des 3 grands opéras de saison, en direct dans le studio des chœurs face à un public qui s’inscrit gratuitement. Les auditeurs sont installés confortablement sur des transats, des chaises ou même allongés sur de vastes coussins et écoutent des extraits de l’œuvre que je commente et explique.

Je poursuis ainsi ma découverte et la transmission des grands opéras du répertoire, au cœur de la partition vocale et d’orchestre, en me concentrant sur la communication des émotions liées à l’œuvre et ses interprètes. Je suis convaincue qu’on apprécie mieux une œuvre quand on la connait et quand on la comprend. Les réactions en tous cas sont toutes positives, et je crois que dans un monde gouverné par les images, fermer les yeux et apprendre à écouter de la musique savante mais accessible à tous, est un vrai privilège dont sont conscients de plus en plus de curieux.

Au fil de la saison 2023-2024 célébrant les 100 ans de l’Opéra de Lille, l’équipe a réalisé que le public était trop restreint. On m’a proposé alors que cette écoute commentée soit enregistrée dans les conditions du direct, et soit disponible gratuitement sur le site web de l’Opéra de Lille. J’ai renouvelé mon contrat pour la nouvelle saison 2024-2025 en commençant par Polifemo de Porpora, puis le Barbier de Séville de Rossini et enfin Faust de Gounod. Les podcasts d’une durée d1h, seront disponibles dorénavant avant la première représentation pour permettre au public qui le souhaite de se préparer pleinement à l’Expérience Opéra !


Les supports qui permettent de donner des clés d'écoute aux publics se diversifient : un PDF téléchargeable, une vidéo, un podcast... Les possibilités semblent s’être multipliées ces dix dernières années, quel est ton regard sur cette évolution ?

La lecture approfondie d’un document, quel qu’il soit, demande un effort. Je le constate tous les jours avec mes élèves, et si je veux captiver leur attention, il me faut diversifier les supports en passant obligatoirement par le multimédia. Je comprends alors parfaitement qu’un dossier d’accompagnement de 50 pages puisse en décourager certains, même s’il est accompagné de nombreux extraits vidéos. Il s’adresse avant tout à un public qui a besoin d’éléments de compréhension, de synthèse et de réflexion, comme des enseignants souhaitant présenter un opéra aux élèves-spectateurs.

Il existe aujourd’hui dans les maisons d’opéra de courtes vidéos de présentation de quelques minutes à la manière des bande-annonce de film. Le ton est plus léger, parfois même humoristique. L’entrée est ludique, facile. C’est un excellent préambule à la découverte d’un opéra. Il donne envie de franchir le pas. Le podcast me semble être un bon compromis. Il ne demande pas moins d’attention que la lecture, mais canalisé par la voix, il facilite la concentration.

Donc, la proposition d’une multiplication de supports aux niveaux variables permet de s’adresser à tous les publics à un moment donné. Parfois, on a le temps et l’envie d’approfondir un sujet ; parfois on a 5 minutes à consacrer à une présentation sommaire. Cette évolution va dans le bon sens tant qu’elle conserve aussi des documents approfondis et détaillés.

J’ai l’habitude d’expliquer et de constater que plus on connait un opéra, plus on l’apprécie. On se ne lasse jamais de voir et revoir un opéra avec de nouveaux interprètes et dans de nouvelles mises en scène.

Plus largement, qu’as-tu appris de cette expérience, sur le plan professionnel ?

J’ai appris que simplifier n’est pas obligatoirement réduire. J’ai développé au cours de ces années de partenariat avec l’Opéra de Lille un esprit de synthèse plus affuté et de meilleures compétences d’écoute. J’apprécie plus que tout faire des liens entre la perception et les émotions. Je poursuis également la construction d’une culture musicale de plus en plus riche, et je pense pouvoir faire bénéficier ces acquis à mes élèves de la 6ème à la 3ème , ainsi qu’à un public plus vaste aujourd’hui.


Une exposition à l'occasion du centenaire de l'Opéra de Lille t'a permis de retrouver une compositrice sur laquelle tu avais beaucoup travaillé à la fin de ton parcours universitaire. Serait-ce le début d'un nouveau travail musicologique et éditorial ?

Il se trouve qu'elle a été l'une des premières à faire des écoutes commentées... C'est une coïncidence heureuse !  J’ai découvert Jeanne Thieffry, une grande artiste Lilloise (1886-1970), pianiste, poète, peintre et musicologue en travaillant à la Bibliothèque municipale de Lille. On m’avait demandé il y a 25 ans de réaliser le catalogue du fonds conservé dans les réserves, paru en 2000. Depuis, elle semblait de nouveau retombée dans un oubli injuste. L’anniversaire de l’Opéra de Lille a mis à l’honneur les artistes de l’inauguration de 1924 dont faisait partie Jeanne Thieffry. Quel plaisir d’entendre l’une de ses œuvres pour violon et piano interprétée dans le Grand Foyer !

C’est peut-être, et je l’espère vivement, la découverte d’une artiste prodigieuse qui a été la première à réaliser des concerts conférences, des émissions de radio avec la volonté affirmée de partager ses connaissances plurielles et de les rendre accessibles au plus large public. Oui en effet, il y a quelques coïncidences… et on est nées toutes les deux un 7 janvier !

Je ne sais pas encore si ce projet sera réalisé… en tous cas, ça peut être une nouvelle aventure passionnante.


Je te le souhaite, merci beaucoup, Emmanuelle.

Camille Prost


EN CONCLUSION :

Sachez que la plupart des structures musicales créent des ressources sur les spectacles. Ces dernières remplissent plusieurs fonctions :

A. Fournir aux enseignantes et enseignants qui emmènent leurs élèves au concert ou à l’opéra des ressources pour les guider dans leur préparation pédagogique, car, tous ne sont pas professeurs de musique.

B. Créer des contenus directement accessibles aux élèves et aux étudiants : des fiches, des schémas, des guides, des résumés … clé en main.

C. Produire des contenus pour tous les publics. C’est désormais, vous l'avez compris, un enjeu important : chaque auditeur, chaque spectateur peut trouver sur le site internet de la structure de la documentation sur le spectacle. C'est donc une habitude à prendre : explorez les pages web des spectacles !


Liens utiles pour en découvrir davantage :



87 vues0 commentaire

Comments


bottom of page