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  • Photo du rédacteurCamille Prost

Où sont les femmes ?

Dernière mise à jour : 26 avr. 2021

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, à la lecture d'un livre d'histoire de la musique, il n'était question que de compositeurs. Curieux, non ? Les femmes ont pourtant toujours fait de la musique, jouer d'un instrument, chanter...

Et où sont passées les femmes compositrices ?

Je suis ravie de voir que depuis quelques années plusieurs travaux universitaires et initiatives artistiques mettent en lumière des compositrices, et cette tendance réjouissante semble s'accroître en ce moment, notamment avec la mise en ligne de la plateforme Demandez à Clara, une base de données 100% compositrices créée par l'association Présences féminines. Cet outil a en effet répertorié pas moins de 4 662 œuvres de 770 compositrices de 60 nationalités, de 1618 à 2020. Le site prévoit d’ajouter 4 000 œuvres supplémentaires à l’automne.

Je profite donc de l'enthousiasme ambiant pour vous donner quelques éléments historiques et sociologiques et vous présenter celles (et ceux !) qui, aujourd'hui, font avancer les choses en déplaçant les lignes.

Une histoire de la musique par et pour les hommes

L'histoire de la musique a été écrite par des hommes, dans un monde où les femmes artistes n'avaient pas vraiment leur place. Certes, les femmes issues d'un milieu aisée prenaient souvent des cours de musique, et parmi elles, beaucoup chantaient, mais il était hors de question qu'elles soient rémunérées pour tout cela et encore moins qu'elles deviennent "compositrices". Quelle idée !

Il y en a pourtant eu des femmes qui ont écrit de la musique... mais elles n'ont pas été répertoriées, leur musique a été peu jouée et elles sont donc naturellement tombées dans l'oubli. La raison de tout cela : le monde de la musique s'est construit sur des modèles androcentriques : les figures du virtuose, du génie, du chef d'orchestre, du compositeur inspiré, de la rockstar sont évidemment toutes masculines.

Aujourd’hui encore, le monde de la musique est un des milieux les moins paritaires. Je tente donc un décryptage !

Un monde encore très genré

Hyacinthe Ravet qui travaille depuis des années sur ces questions a montré à quel point le monde de la musique était genré. Prenons, par exemple, les instruments de musique.

Dans notre imaginaire collectif, le violon, la harpe, la flûte sont aujourd'hui associés au féminin, alors que les percussions, le tuba et le trombone sont associés au masculin.

Ces représentations ont une histoire. Les instruments à vent, très fortement connotés, ont pendant très longtemps étaient réservés aux hommes : le souffle qui transforme nécessairement les traits du visage, la force et la puissance requises, la posture (la clarinette entre les jambes), la condensation qui coule nécessairement de l'instrument, au contact des lèvres... Tout cela était évidemment bien trop inconvenant pour une femme !

Il est intéressant de préciser ici que ce sont surtout la hauteur, le geste et le répertoire qui conditionnent le genre :

  • Les instruments aigus sont plus facilement associés aux femmes,

  • Les instruments graves sont associés aux hommes,

  • Souffler et frapper sont des gestes musicaux du côté de la masculinité,

  • Frotter (notamment grâce à l'archet) est du côté de la féminité,

  • La musique du chambre est plutôt féminine, ce qui nous renvoie à l'époque où les filles de bonne famille se devaient d'égayer la vie domestique en jouant du piano ou en chantant dans le salon...

  • La musique symphonique est plutôt du côté du masculin : puissance de jeu, mise en scène... Les orchestres ont d'ailleurs pendant très longtemps été quasiment exclusivement masculins (c'est le moment de parler de la harpiste du Philharmonique de Vienne, symbole des luttes féministes).

  • La pratique de la musique d'ensemble en extérieur a longtemps été exclusivement masculine, je pense notamment à la tradition des fanfares dans les milieux populaires... Pendant des décennies, aucune femme n'a eu sa place en leur sein !

Se dessinent donc très nettement des formes de sociabilités différentes : les femmes restent dans des espaces intimes et pratiquent une musique d'intérieur, quand les hommes jouent collectivement et à l'extérieur. Toutes ces pratiques sociales historiques conditionnent encore aujourd'hui - même si les choses ont évidemment beaucoup évolué- notre imaginaire musical collectif.

Il faut préciser ici que le monde de la musique savante est, malgré tout, plus féminin que d'autres univers, le rock ou le jazz notamment.

Les femmes ont progressivement occupé des postes au sein des institutions, principalement, au départ, des emplois d'enseignantes en chant, piano, solfège ; de musiciennes à cordes dans les orchestres ; de chanteuses lyriques.

Les femmes lisent la musique et l'enseignent, les hommes la jouent sur scène et la composent ; ce sont ces schémas qu'il faut apprendre à déconstruire.

Certains indices prouvent que la musique est encore de nos jours très genrée. Promenez-vous dans les salles d'un conservatoire et regardez les affiches. Je vous parie que vous n'y verrez que des portraits de compositeurs et, dans les salles réservées aux cours d'instruments, beaucoup de musiciens en costume noir et chemise blanche placardés sur les murs.

J'espère que vous n'entendrez pas, lors de votre petit tour, certaines remarques qui trahissent le fait que l'excellence musicale est encore trop souvent du côté de caractéristiques connotées masculines : énergie vitale, puissance, engagement corporel, brillance du son...


Pour en savoir plus sur toutes ces questions passionnantes :


Les compositrices baroques ont la cote sur youtube

Il faut donc un contexte pour favoriser l'émergence de l'excellence et même si les femmes musiciennes n'en ont pas toujours bénéficié, certaines ont su se faire remarquer grâce à leur talent : Fanny Mendelssohn, Louise Farrenc, Clémence de Grandval, Cécile Chaminade , Germaine Tailleferre, Nadia et Lili Boulanger, Cathy Berberian...


Mia Mandineau, que vous suivez peut-être sur les réseaux sociaux, a mis en ligne de courtes vidéos pour présenter de grandes compositrices baroques. C'est pédagogique sans être démagogique, c'est drôle et décalé tout en étant de qualité. Je vous encourage vivement à regarder toute la série "J'te présente", qui lui a été commandée par le Concert de l'Hostel Dieu :

https://www.youtube.com/watch?v=h56unz32Nnk

https://www.youtube.com/watch?v=tqtXMDp5ye4

https://www.youtube.com/watch?v=PrFGSF-Sfvk

Je réserve une place particulière à Élisabeth Claude Jacquet de la Guerre, l'une de mes compositrices préférées : https://www.youtube.com/watch?v=EF5dKP2bY9M


Les programmes musicaux se féminisent

Je vois de plus en plus de programmes qui incluent des œuvres de compositrices et je m'en réjouis. J'avais notamment envie de vous parler du programme "Elles" qu'a proposé Mathieu Romano et son ensemble Aedes. À une voix, puis deux, trois, quatre, jusqu’en effectif complet, les chanteuses de l’Ensemble Aedes, accompagnées par Bianca Chilemi au piano, s’emparent du répertoire vocal féminin. Dans ce programme créé lors de la première édition du festival ELLES en 2019, la part belle a été donnée aux compositrices, du XIIe siècle à nos jours. Il est vrai que les programmateurs et programmatrices sont de plus en plus soucieux/ses de proposer des œuvres de compositrices.

Pour en savoir plus sur le Festival ELLES de la Cité de la Voix à Vézelay :

Pour en savoir plus sur le festival Présences féminines :


Les cheffes

Les femmes chantent, jouent, composent et... dirigent !

Composition et direction sont tellement liées historiquement que j'avais envie de faire un petit aparté sur quelques femmes cheffes :

Emmanuelle Haïm :

Après des études de piano et de clavecin, Emmanuelle Haïm choisit la direction d’orchestre et fonde en 2000 Le Concert d’Astrée. Simultanément, elle est demandée par les scènes internationales les plus prestigieuses et connaît un succès retentissant dès 2001 au Glyndebourne Touring Opera en dirigeant Rodelinda de Händel. Emmanuelle Haïm se produit alors avec Le Concert d’Astrée sur les grandes scènes internationales et dans des œuvres consacrées à la musique des XVIIe et XVIIIe siècles aux côtés de solistes prestigieux, comme Cecilia Bartoli, Natalie Dessay, Karine Deshayes, Sabine Devieilhe, Christophe Dumaux, Philippe Jaroussky, Magdalena Kožená, Laurent Naouri, Patricia Petibon, Sandrine Piau, Rolando Villazón, Anne Sofie von Otter… En collaboration avec des metteurs en scène de renom, Le Concert d’Astrée, sous sa direction, s’illustre dans de nombreuses productions scéniques à l’Opéra de Lille, à l’Opéra de Dijon où il est également Artiste associé, à Paris (Palais Garnier, Théâtre du Châtelet, Théâtre des Champs-Elysées), au Théâtre de Caen et au Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence ainsi qu'au Glyndebourne Festival Opera... Fidèle représentante du baroque et du savoir-faire musical français, Emmanuelle Haïm est Chevalier de la Légion d’honneur, Officier des Arts et des Lettres, Officier de l’ordre national du Mérite et Honorary Member de la Royal Academy of Music.

Laurence Equilbey :

Laurence Equilbey a étudié la musique à Paris, Vienne et Londres, notamment auprès des chefs Eric Ericson, Denise Ham, Colin Metters et Jorma Panula. Chef d’orchestre et directrice musicale d'Accentus, Laurence Equilbey est reconnue pour son exigence et son ouverture artistique. Ses activités symphoniques la conduisent à diriger les orchestres de BBC of Wales, Hessischer Rundfunk, Lyon, Bucarest, Liège, Leipzig, Brussels Philharmonic, Café Zimmermann, Akademie für alte Musik Berlin, Concerto Köln, Camerata Salzburg, Mozarteumorchester Salzburg, etc. Avec le soutien du Conseil départemental des Hauts-de-Seine, elle fonde en 2012 Insula orchestra, un ensemble sur instruments d’époque consacré au répertoire classique et pré-romantique. Cet orchestre connaît un vif succès en France comme à l’étranger. Il inaugure au printemps 2017 un nouveau lieu musical conçu par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines sur l’île Seguin et prend part à la programmation de l’Auditorium de 1 100 places.

Elle est artiste associée au Grand Théâtre de Provence et en compagnonnage avec la Philharmonie de Paris et elle continue d’explorer le grand répertoire de la musique vocale avec Accentus, tout en étant très investie dans la création contemporaine. Elle est directrice artistique et pédagogique du Département supérieur pour jeunes chanteurs au CRR de Paris.

Claire Gibault :

Claire Gibault débute sa carrière à l’Opéra National de Lyon avant de devenir la première femme à diriger l’Orchestre de la Scala et les musiciens de la Philharmonie de Berlin. Directrice musicale de l’Atelier Lyrique et de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, puis de Musica per Roma de 2000 à 2002, elle est l’assistante de Claudio Abbado à la Scala, à l’Opéra de Vienne et au Royal Opera House de Londres, avant de participer à ses côtés, en 2004, à la création de l’Orchestra Mozart di Bologna. Elle est régulièrement invitée par de prestigieuses institutions nationales et internationales, notamment pour des créations. En 2011 Claire Gibault crée le Paris Mozart Orchestra, avec lequel elle donne 30 concerts par an. Très attachée à la création, elle collabore régulièrement avec des compositeurs actuels tels que Graciane Finzi, Wolfgang Rihm, Silvia Colasanti, Fabio Vacchi, Edith Canat de Chizy, Philippe Hersant... Passionnée par la transmission, Claire Gibault dirige depuis 4 ans un cycle de masterclass de direction d’orchestre à Paris. Elle a également récemment participé à des masterclass de direction d’orchestre à l’invitation du Royal Opera House et du Jette Parker Young Artists Programme. En 2010, elle a publié La Musique à mains nues aux Éditions L’Iconoclaste. Elle est aussi Officier de la Légion d’Honneur et Commandeur des Arts et des Lettres.

Lucie Leguay :

Musicienne dynamique et éclectique, Lucie Leguay mène une double activité de pianiste et de chef d’orchestre. Titulaire d’un master de direction d’orchestre à la Haute École de Musique de Lausanne dans la classe d’Aurélien Azan Zielinski, elle est également diplômée de l’École Supérieur Musique et Danse des Hauts de France et du conservatoire à rayonnement régional de Saint-Maur-des-Fossés à Paris. Lauréate de plusieurs concours internationaux, Lucie est distinguée en novembre 2018, lors du premier Tremplin pour jeunes cheffes d’orchestre à la Philharmonie de Paris. L’année précédente, elle accède aux huitièmes de finale du Concours International de chefs d’orchestre d’opéra à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Elle remporte le Prix de l’Orchestre Camera de Florence en 2016 lors de la finale du Concours International de Direction d’Orchestre à Empoli. Elle fonde en 2014 l’Orchestre de Chambre de Lille (OCL) avec une ambition : diffuser la musique pour tous, dans des endroits où on ne l’attend pas. L’OCL se produit dans la métropole lilloise avec des concerts de différents formats et aux esthétiques diverses. La transmission et les pratiques collectives sont au cœur des projets pédagogiques de l’orchestre (écoles, maisons de repos, musées...) pour aller à la rencontre de nouveaux publics. Elle est depuis 2019 cheffe assistante de l'Orchestre national d’Ile-de-France, de l'Orchestre National de Lille et de l'Orchestre de Picardie.


La Philharmonie de Paris organise souvent des évènements autour de ces questions :


Et les compositrices aujourd'hui ?

Il y a en a de plus en plus, chouette ! Impossible de toutes les citer, mais mon article ne pouvait pas se passer de certains noms : Carla Ciarlantini, Florence Bashet, Betsy Jolas, Kaija Saariaho, Isabelle Aboulker, Edith Canat de Chizy et la nouvelle génération avec Camille Pépin, notamment, dont on parle beaucoup en ce moment.

Née en 1990, Camille Pépin est l'une des compositrices les plus prestigieuses de sa génération. Elle étudie au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Amiens, puis au Pôle Supérieur de Paris où elle étudie l’arrangement avec Thibault Perrine, et au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où elle obtient cinq premiers prix (orchestration, analyse, harmonie, contrepoint et fugue & formes). Elle apprend notamment auprès des compositeurs Thierry Escaich, Guillaume Connesson et Marc-André Dalbavie qui ont particulièrement marqué son parcours musical. Elle est aussi lauréate de divers concours & distinctions : Concours de composition Île de Créations - ONDIF 2015, Grand Prix Sacem Jeune Compositeur 2015, Prix du public au Festival  européen Jeunes Talents 2016, Prix de l’Académie des Beaux-Arts 2017, Trente Eclaireurs Vanity Fair 2018 puis elle est nommée compositrice de l'année aux Victoires de la Musique Classique 2020. Dans ses concertos et en musique de chambre, elle écrit et dédie ses pièces aux musiciens qu’elle affectionne (Guillaume Bellom, Adélaïde Ferrière, Julien Hervé, Thibault Lepri, Yan Levionnois, Fiona McGown, Raphaëlle Moreau, Célia Oneto Bensaid, Ensemble Polygones, Anaëlle Tourret). Elle est compositrice invitée lors de nombreux festivals et compositrice en résidence avec l’Orchestre de Picardie de 2018 à 2019 puis au festival international de musique de Besançon de 2019 à 2021. Camille est lauréate de la Fondation Banque Populaire et ses œuvres sont éditées aux éditions Billaudot, Durand-Salabert-Eschig et Jobert.


Il y a donc quelques belles avancées et des évolutions encourageantes dans le milieu de la musique savante, mais il reste encore tellement d'inégalités... Que chacun, chacune, prenne sa part de responsabilité et reste vigileant(e), le monde musical s'en portera mieux !

Pour aller plus loin :

- Un ouvrage récent d'histoire de la musique qui fait enfin une place aux femmes : https://www.editions-ellipses.fr/accueil/10724-histoire-de-la-musique-occidentale-9782340040632.html


Si vous avez envie de réagir à cet article, écrivez-moi : cprost@calamusconseil.fr


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