Rencontre avec Gaëlle Berbonde
- Camille Prost
- 9 mai
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 5 jours
Immersion dans l'univers gestaltiste et rencontre, en toute intimité, avec celle qui fait des miracles dans le monde musical en accompagnant notamment les artistes sur des problématiques liées au trac...
Bonjour Gaëlle, pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Il y a quelques mois j’ai fêté mes 50 ans. À cette occasion, mes amis m’ont offert une chanson-portrait, me décrivant comme « celle qui fait un pas de côté ». Une amie m’a dit un jour que j’étais avant tout « agissante »… Un mot énigmatique qui me rend fière, comme si j’étais un ferment lactique, une levure boulangère ou la sage-femme qui aide à mettre au monde.
Mon parcours est à la fois classique (par ma formation), atypique (par mes pas de côtés professionnels) et éclectique (par mon insatiable curiosité).
J’ai récemment travaillé sur ma raison d’être : mettre chacun.e en contact avec ses forces vives pour mener ses combats ordinaires ou extraordinaires.
Quelle belle mission ! Elle résonne en harmonie avec ce que j'entends faire au sein de Calamus Conseil... Nous allons donc creuser ce sillon : comment es-tu devenue coach ?
Je travaillais depuis de nombreuses années à organiser des projets de vaste ampleur. J’ai pris conscience au fil du temps que la complexité tient rarement à l’expertise technique ou cognitive. La difficulté majeure, c’est de faire en sorte que les gens réussissent à travailler ensemble, à confronter joyeusement leurs idées sans rentrer en conflit, à développer la co-construction plutôt que la compétition ou le repli sur soi.
Je suis devenue coach pour redonner aux collectifs le goût et le plaisir à travailler ensemble, pour aider à mettre de la conscience sur les peurs inhérentes à toute relation humaine. J’ai réalisé à quel point le monde professionnel est un lieu où se joue et se rejoue la « comédie humaine ».

Qu'est-ce qui te plaît le plus dans ce métier ?
Ce sont les rencontres, la magie du collectif quand la parole se remet à circuler, quand la joie de travailler ensemble émerge, quand les malentendus se dissolvent, qu’on chacun retrouve le plaisir du travail bien fait, ensemble.
Simul et singulis : être ensemble et être soi-même. J’ai fait mienne la devise de la troupe de Molière et son illustre maison, la Comédie Française.
La méthode du coaching est directement liée aux origines de la philosophie occidentale et à ce qu'on nomme la "maïeutique" socratique. Quels liens, quelles passerelles vois-tu entre ton métier et la philosophie ?
Ma pratique du coaching s’ancre dans la Gestalt, un courant de pensée ayant pour racine la phénoménologie et l’existentialisme. Pour moi, le coaching, c’est la maïeutique ET la philosophie « agissante », mise à l’épreuve du réel.
Pour en dire un peu plus, le coach gestaltiste ouvre une « regard curieux et agnostique » sur les problématiques qu’on lui soumet. Il déploie l’art d’observer le monde à la fois sans jugement et par tous ses propres canaux de réception sensoriels. Il « écoute » l’autre et écoute ce qu’il ressent en lui-même au contact de l’autre et de la situation présente. Il observe ce qui émerge sous son regard et dans ses propres ressentis comme le scientifique observe dans son microscope un organisme inconnu. Il part du principe qu’il ne sait rien de ce qu’il découvre. En Gestalt, on a la confiance que le sens émerge ici et maintenant au contact des deux êtres en présence (ou du groupe si on travaille en groupe). Le coach invite le coaché à prendre conscience de ce qui se joue pour lui, avec, entre autres choses, l’éclairage des contraintes existentialistes : la responsabilité, la liberté, la quête de perfection, la finitude, la solitude.
Chacun de nos actes, chacune de nos décisions, prises de position est teintée de ces contingences, qui nous sont plus ou moins « cruelles ». Pour certains, c’est la quête de la perfection qui guide la vie, pour d’autres c’est la quête de la liberté ou la quête de l’Autre pour sortir de la solitude, etc. Dans un cadre professionnel, ces contraintes nous font agir et nous agissent parfois à notre insu. Dans ma pratique, j’aide à regarder ce qui se passe au contact de l’autre. Est-on dans la retenue ? dans l’évitement du contact ? ou bien a-t-on un mouvement naturel ou intense vers l’autre ? Pour moi, comme en philosophie, il se déploie en coaching un formidable souffle d’anti-déterminisme : à travers les prises de conscience, on devient responsable « de ce qu’on a fait de soi ». On pourrait dire que le coaching gestaltiste est une forme de recherche et d’accompagnement pour « devenir soi-même ».
Tu es une grande amatrice d'art, tu chantes dans des chœurs, tu as une pratique assidue du théâtre... Cette sensibilité t'a conduit à accompagner de nombreux artistes. Quel est ton rapport à l'art plus précisément ?
Enfant, je mettais mes poupées en cercle, je mettais des disques et tour à tour je prenais le rôle du chef d’orchestre ou de la prima donna. J’allais le samedi à l’atelier de ma tante qui donnait des cours d’arts plastiques, j’y ai beaucoup peint et modelé. Je suis rentrée au collège avec le cœur battant dans l’attente d’intégrer la compagnie de théâtre. Et j’ai pratiqué le piano et la flûte baroque au conservatoire. Le soir, je retrouvais la littérature, source inépuisable de découverte du vaste monde. Elle m’a sorti d’une timidité maladive et d’une vie familiale que je trouvais étriquée.
Jeune adulte, j’ai vécu une double vie : diurne avec un travail alimentaire et nocturne avec beaucoup de théâtre et de chant. J’ai touché à tout sans être réellement douée pour rien, mais les arts sous toutes leurs formes me sont aussi précieux que l’air que je respire et l’eau que je bois.

Et quel est ton rapport aux artistes ?
Je les admire. Ils représentent pour moi cette zone de l’humanité encore en friche, terra incognita : à la fois totalement inutile à la survie de l’espèce, mais indispensable à la vie, depuis les origines du Monde.
Je suis frappée de voir à quel point notre monde actuel, toujours plus avide d’images, de loisirs et d’idoles s’engouffre néanmoins résolument dans la voie de l’extinction des artistes du spectacle vivant en ouvrant toute grande la porte de l’intelligence artificielle.
Je sais également à quel point ce milieu est dur, sacrificiel. Tout y est exacerbé de la « comédie humaine » dont j’ai parlé plus haut. Au nom de l’art, tout est parfois permis. Je suis extrêmement sensible à ce point. L’art est performatif au sens où il modifie notre regard sur le monde. Je suis persuadée que les douleurs de l’enfantement créatif ont longtemps fait partie de l’obscur objet du désir du public. Aujourd’hui, les regards changent, la parole se libère.
De l’intérieur de ma pratique d’accompagnement, je vois les ravages psychiques et somatiques que ce statut d’artiste « maudit » engendre. Je voudrais œuvrer et soutenir les artistes pour décaler les regards et les expériences, mettre de la conscience sur les modalités des processus de formation, de création, de fabrication artistique. Je crois possible et souhaitable que le dedans (le vécu des artistes) soit aussi beau que le dehors (le vécu des spectateurs) !
Tu t'intéresses aux questions de trac. Comment cet axe de travail a-t-il émergé ?
Des amis musiciens professionnels m’ont partagé les affres que leur faisait vivre ce trac, parfois jusqu’à entraver leur carrière. Ce trac que je vivais moi-même dans ma pratique amateur, avec une intensité parfois proche de la déréalisation. J’étais sidérée d’imaginer que ces professionnels pouvaient vivre la même chose que moi. Autrement dit, que nous vivions la même expérience de trac, alors que nous naviguions dans des sphères compétences sans commune mesure. J’ai pris conscience de ce qui se jouait d’existentiel dans le trac et l’angoisse de performance : apparaitre à l’autre. J’ai donc commencé à m’intéresser à ce sujet sur plusieurs plans :
Un plan « urgentiste » : les techniques de préparation mentale
Un plan « plongée sous-marine » : l’accompagnement gestaltiste.
Peux-tu expliquer concrètement à nos lecteurs et lectrices quelle est ton offre à destination des musiciens et quels sont les profils de tes clients ?
J’ai deux types de clients : des professionnels et des étudiants :
🪧Les étudiants :
Ils viennent au départ pour préparer les concours d’entrée aux CNSM avec une demande de préparation mentale et psycho-corporelle.
Je les accompagne souvent sur toute la durée de leur scolarité, pour les soutenir dans ces études hyper-exigeantes et concurrentielles. C’est également un âge charnière de découverte de soi et de son rapport au monde. Les thématiques présentes : le trac et le stress bien sûr, la confiance en soi, le rapport aux autres (professeurs, partenaires de jeu avec des problématiques spécifiques à chaque discipline), le rapport à l’imaginaire, le rapport au travail (trop, trop peu…)
🪧Les jeunes professionnels :
Ils ont souvent une grande anxiété en sortant du cadre hyper structuré des CNSM ; il y a l’étape de « trouver sa place » avec tout ce que cela suppose : les concours, puis l’assimilation d’un nouveau contexte professionnel, où la pression n’est évidemment pas absente, ave l’accélération des cadences infernales des grandes maisons de musique (orchestre et opéra) et l’attrition du denier public qui exacerbe la compétition. Les problématiques liées à l’enseignement sont toujours présentes.
🪧Les professionnels tout au long de leur carrière :
Se pose le sujet de « durer », d’évoluer (tuttistes et solistes ont des problématiques spécifiques), de progresser, de concilier vie personnelle / vie professionnelle, développer des projets collectifs avec des dynamiques interpersonnelles complexes.

Les résultats sont spectaculaires. Que ressens-tu lorsqu'un.e artiste que tu as coaché.e réussit son concours et atteint l'objectif qu'il ou elle s'était fixé. La satisfaction doit être immense...
Je vis, à travers mon métier, une forte intensité émotionnelle : joie, fierté et bien entendu aussi… du trac par procuration !
Je suis parfois saisie quand certains me disent : c’est grâce à toi ! Moi je ne fais rien d’autre que de les mettre au contact avec leurs forces vives … C’est vraiment l’image de la sage-femme : accompagner les mises au monde !
Quel beau métier !
Tout à fait, mais je sais également qu'on n’arrive jamais réellement à destination…
Ils me disent souvent que leur destination, c’est la perfection… Pour moi la perfection, c’est comme l’horizon, à jamais inaccessible ! La beauté et le plaisir résident dans le voyage et dans les compagnons de route… La route est semée d’embuches ; je suis là, avec eux, sur le chemin.
Tu consacres actuellement une partie de ton temps à l'étude et l'écriture d'un ouvrage sur cette question du trac. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
Les musiciens que j’accompagne se sentent terriblement seuls avec leur trac. Il y a encore beaucoup de tabous autour de ce sujet, et plus largement sur le développement « psychique » de l’artiste.
Toutes ces expériences de trac que j’ai recueillies sont incroyablement fortes, émouvantes. Le trac, ce serait un peu comme l’amour ; ça prend des formes différentes alors que l’essence est la même pour tous.
On peut le gérer de différentes façons, prendre des médicaments, se « transformer en robot » ou en « ouvrier spécialisé » de la musique pour se désensibiliser. On peut vivre avec, le domestiquer, voire le chérir.
Il existe des milliers d’ouvrage parlant de techniques de gestion du trac. À ma connaissance, aucun sur des « parcours de vie » à travers le trac. J’ai souhaité recueillir ces témoignages et les publier pour mettre de la parole sur ces expériences singulières et les partager. Pour que les élèves découvrent que leurs professeurs et leurs artistes « modèles » vivent des expériences similaires tout en étant unique.
Je vais également porter un regard historique sur cette thématique, avec l’aide de musicologues.
Pour mener ce projet dans les meilleures conditions, que te faut-il dans les prochains mois ?
Des témoignages ! je rêve d’un livre « opératique » où je pourrais recueillir la parole de chaque instrumentiste de l’orchestre, des chanteurs et également des danseurs.
Et un éditeur !
... À bon entendeur ! Nous clamons le message, haut et fort !

Nous travaillons ensemble depuis quelques mois et avons toutes les deux très envie de poursuivre dans cette voie. Que nous souhaitons-nous pour la suite ?
Des synergies et de la complémentarité dans nos interventions !
Des formations sur le stress, fatigue, récupération, motivation...
Des interventions communes sur des thématiques spécifiques (par exemple, à des corps de métier spécifiques : quatuors, chanteurs…)
... Et du plaisir à nous retrouver, toujours !
Merci infiniment pour cet entretien passionnant, qui est comme une page qui s'ouvre. À nous, à vous, chers lecteurs, chères lectrices, d'écrire la suite !

Si vous avez senti, à travers cet article, que Gaëlle est LA personne que vous cherchez et celle qui peut vous accompagner sur ces problématiques,
✍️écrivez-lui, directement à l'adresse suivante : gaelle.berbonde@melpomento.fr
☎️ou par téléphone au 06 12 32 26 61.
🛋️Gaëlle Berbonde vous reçoit au 23 rue du Bouloi à Paris, 1er arrondissement
(cf photo ci-contre 🤩)
ℹ️ Vous serez bien entendu informés de la parution de son prochain ouvrage. Et si vous voulez lui apporter votre témoignage dans le cadre de ce projet éditorial, contactez Gaëlle rapidement !
Calamus Conseil travaille en étroite collaboration avec d'autres professionnels engagés, responsables et porteurs des mêmes valeurs : la passion pour l'art et la conviction de son intérêt général, la compréhension profonde et le respect de l'artiste, le sur-mesure et la bienveillance. Gaëlle rejoint cette petite équipe minutieusement choisie.
Comments