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  • Photo du rédacteurCamille Prost

Où est la file d'attente pour ce Stradivarius ?

Dernière mise à jour : 15 avr. 2021

Calamus Conseil développe en ce moment un axe autour du mécénat d'instruments. Pourquoi ? Principalement pour 4 bonnes raisons :

  1. Parce que les musiciens professionnels qui cherchent à acquérir un instrument à la hauteur de leur talent sont nombreux (trop nombreux!)

  2. Parce que cette filière très particulière est assez obscure, elle est une sorte de niche dans la niche, uniquement accessible à quelques rares initiés...

  3. Parce que les philanthropes ne savent pas que l'acquisition d'un instrument est un réel investissement, notamment dans une logique de diversification de leur patrimoine,

  4. Parce que plusieurs initiatives voient le jour depuis quelques années mais qu'il manque une entité pour les fédérer afin de voir plus grand et de faire connaître cette cause auprès d'un plus grand public.

Quels sont les problèmes ?

a) Des musiciens en quête de généreux mécènes

Les grands virtuoses ont toujours recherché les meilleurs instruments :

- Niccolo Paganini jouait un Guarnerius del Gesù,

- Yehudi Menuhin un Stradivari et un Guarnerius del Gesù

- Christian Ferras deux Stradivari

- Mstilav Rostropovitch un Stradivari et un Pietro Guarneri

- Itzhak Perlman un Stradivari...

Or, aujourd'hui un instrumentiste à cordes professionnel, qu'il soit musicien d'orchestre au sein d'une phalange prestigieuse, soliste ou membre d'un ensemble (trio, quatuor...) ne peut pas acheter lui-même l'instrument de son choix.

Pourquoi ?

Parce que les instruments de très bonne qualité coûtent très cher. Les prix ont augmenté, jusqu'à atteindre des sommes astronomiques...

Vous voulez un record ? Le Lady Blunt de Stradivarius (1721) a été acheté en 2011 plus de 11 millions d'euros. Exception me direz-vous, certes, mais il n'est pas rare que les instruments de l'âge d'or de la lutherie italienne dépasse le million d'euros...

Un professionnel ne peut donc plus aujourd'hui acheter son outil de travail...

Vous trouvez cela absurde ? étrange ? inadmissible ?

Je n'entre pas dans la polémique - la question est certainement trop politique - mais je relais les propos d'Anne-Elsa Tremoulet pour exposer les faits :

"On assiste à une séparation durable entre la possession et le jeu des instruments. Compte tenu d’un déséquilibre structurel entre une offre limitée et une demande croissante, ainsi que d’une “financiarisation” du marché de l’art, le prix des instruments anciens a considérablement augmenté. Les musiciens, et particulièrement les jeunes, n’ont désormais plus les moyens de s’offrir des instruments à la mesure de leur talent, de satisfaire leur exigence artistique et de construire avec sérénité leur carrière."

J'ajoute que cette question a des répercussions directes sur la carrière des musiciens : avoir un instrument de grande valeur, identifié comme tel, est notamment un atout considérable au moment de négocier avec un label discographique...


J'opte, sur ces questions, pour un point de vue pragmatique. Les choses sont ainsi, alors comment faire pour améliorer les choses, tout en tenant compte de ce constat ?

Comment permettre à des musiciens de trouver l'instrument dont ils rêvent ?


b) De rares propriétaires d'instruments un peu dépassés ...

Certains particuliers ont la chance de posséder un instrument de ce type, souvent depuis de très nombreuses années, mais ils ne sont pas forcément à l'aise avec l'idée de le prêter... Ils ne connaissent d'ailleurs pas toujours la valeur exacte de leur bien. Néophytes sur les questions techniques de lutherie, ils n'entretiennent pas forcément de la meilleure des manières ces objets fragiles.

Que les choses soient dites une bonne fois : Laisser un instrument dans un coffre ou dans un placard est LA chose à ne pas faire. Un instrument (lorsqu'il est en état) doit être joué ; c'est la meilleure chose qui puisse lui arriver. Le mettre sous cloche, le cadenasser par peur de le casser, de l'abîmer ou de se le faire voler est une réaction compréhensible mais une mauvaise solution...

c) Un investissement méconnu qui mérite d'être expliqué, développé..

Côté investisseurs et conseillers en gestion de patrimoine, peu de personnes sont au courant qu'acheter un instrument ancien ou moderne est un investissement réellement intéressant ... Il y a donc un gros travail de pédagogie à faire, afin de rallier à cette cause de nouveaux mécènes. Investir dans un tableau de maître ou dans une sculpture contemporaine est une pratique plus répandue aujourd'hui en France qu'acheter un violon ou un violoncelle. Et pourtant...

Qu'est-ce que le mécénat d'instruments, précisément ?

Techniquement parlant, comment fonctionne ce type très particulier de mécénat ? Je vous explique le principe :

Dans la majeure partie des cas, un mécène (particulier, fondation, banque...) possède un instrument qu'il décide donc de mettre généreusement à la disposition d'un instrumentiste. Pour choisir l'heureux élu, des auditions ou des concours sont souvent organisés.

Si le feeling passe entre l'objet et l'artiste, est alors signé un contrat de prêt qui précise la durée de la mise à disposition de l'instrument et les modalités financières.

Souvent, c'est au musicien de payer l'assurance, ce qui représente une somme élevée... étant donné la valeur de l'instrument. Mais d'autres montages contractuels sont possibles.

Le mécène décide, au moment de la rédaction de ce contrat, des modalités de communication :

- ce prêt doit-il faire l'objet d'une communication spécifique? D'un communiqué de presse ?

- si un album est enregistré avec cet instrument, quelles mentions doivent figurer sur la pochette ?

- quelles sont les contreparties souhaitées (concert privé, mentions ...) ?

Tout est sur-mesure, adaptable et négociable, à condition de connaître et de respecter les fondamentaux du mécénat. Pour cela, il est recommandé de se faire accompagner par un expert.

Dernière précision : Il est extrêmement valorisant pour un mécène de savoir que son instrument est entre les mains d'un virtuose qui va en prendre soin et le faire sonner comme il le mérite. Cet instrument écrit alors une nouvelle page de son histoire ; c'est toujours une fascinante articulation entre une personnalité artistique, un objet qui a lui aussi une personnalité et un répertoire (les œuvres jouées)

Émouvant, non ?


Des initiatives remarquables

Il serait malhonnête de dresser un tableau aussi sombre sans préciser qu'il existe des initiatives formidables ; elles tentent toutes de répondre à ces problématiques aussi complexes que passionnantes. En voici quelques-unes :


1/ Mécénat Musical Société Générale a un axe dédié au prêt d'instruments :

Acteur majeur du mécénat musical, unanimement respecté dans la profession, cette association distributrice s’est forgé, au fil des années, une grande légitimité. Rappelons-le, elle donne chaque année 2,5 millions d’euros pour la musique. Mécénat Musical Société Générale a notamment une politique de constitution d’un fonds d’instruments anciens et contemporains qui lui permet d'aider des musiciens prometteurs. Quatre instruments de haute qualité acquis par le Groupe ont ainsi été attribués pour une durée minimale de deux ans à plusieurs musiciens, sélectionnés sur audition devant un jury professionnel dirigé par Alain Meunier, violoncelliste et président de l'Association :


2/ Le Fonds de dotation Anima a pour vocation d'acheter des instruments et de les prêter :

Ce très jeune fonds de dotation créé à l'initiative de la violoniste Anne-Elsa Tremoulet ne manque pas d'ambition ! Voici ces quatre missions principales :

La préservation du patrimoine instrumental : Sauvegarder et préserver le patrimoine instrumental européen à travers l’acquisition, l’entretien d’instruments à cordes anciens et la constitution d’une collection de grande qualité en France. Le soutien aux talents : Permettre aux musiciens de jouer sur des instruments de grande qualité prêtés par Anima et de construire leur carrière avec sérénité. La transmission : Permettre aux luthiers européens de garder un lien avec un patrimoine culturel inestimable et de perpétuer un savoir-faire unique. Le rayonnement de la culture : Permettre au public d’écouter les sonorités exceptionnelles de ces instruments joués par les meilleurs musiciens et favoriser le rayonnement de la culture et de la musique classique.

Nicolas Van Kuijk, membre du quatuor du même nom, joue ainsi un G.B.Guadagnini, prêté par Anima :


3/ Le Fonds Instrumental Français, une association historique.

Le Fonds Instrumental Français est une association historique, à but non-lucratif, qui a pour vocation exclusive, depuis des années, de prêter des instruments à cordes de qualité à des musiciens en fin d’études ou déjà entrés dans la carrière.

Le FIF avait lancé il y a plusieurs années une pétition visant à appuyer, auprès des Ministères concernés, sa demande de création d’un FONDS INSTRUMENTAL D’ÉTAT à partir des collections du Musée de la Musique.

Pour découvrir les instruments qui sont passés par cette entité, c'est ici : https://www.finstrumental.fr/?LES_INSTRUMENTS


4/ L'association Talents et violon'celles, une initiative dynamique tournée vers la jeune génération :

Leur film anniversaire, notamment, explique parfaitement les enjeux du mécénat instrumental. Ils sont soutenus par de grandes fondations et fonds de dotation (Fonds de dotation Agnès B, Caisse d'Epargne, Safran Fondation pour la musique, Fondation d'entreprise AG2R la Mondiale, Fondation Rémy Cointreau...) et des mécènes privés très investis dans cette cause :

Sous l'impulsion du violoncelliste Raphaël Pidoux et grâce à une gouvernance très investie, l'association a constitué un vaste parc instrumental de violoncelles, mais aussi depuis 2014 de violons et d'altos destinés à de jeunes musiciens encore en étude ou en voie de professionnalisation.

L'association a aujourd'hui un lieu dédié qui comporte à la fois un espace d'échanges, de rencontres, un atelier de lutherie pour des résidences, une salle polyvalente pour répéter :


5/ L'Association Zilber Vatelot Rampal ou l'héritage Vatelot

Créée à l’initiative de Roger Zilber en 1995 avec le soutien de la Maison Vatelot-Rampal, l'association a aussi pour but de mettre à la disposition de jeunes musiciens talentueux des instruments de qualité pour leur permettre de passer des concours internationaux d’orchestres et poursuivre leur carrière. Les candidats sont sélectionnés sur dossier et passent une audition devant le Comité de l’Association présidé par Jean-Jacques Rampal.

Ces prêts d’instruments sont consentis pour une année renouvelable une fois.

http://www.vatelot-rampal.com/lassociation/


6/ Certaines fondations abritées ont un instrument et mettent cette action en avant...

C'est par exemple le cas de la Fondation Culture et Musique, sous l'égide de la Fondation de France, qui possède un très beau violoncelle qu'elle met à la disposition de musiciens :


7/ Mathieu Névéol est luthier ET violoniste ! Il est évidemment très engagé sur ces questions. Au sein de ce petit écosystème, des personnalités hors norme méritent en effet d'être davantage connues. Mathieu est passionné de lutherie, spécialiste des vernis et prête des violons à de jeunes musiciens :

https://www.neveol.com/copie-de-lutherie


8/ Certains donateurs particuliers et certaines fondations ont fait et font actuellement confiance à des musiciens talentueux :

  • Les quatre instruments joués par le Quatuor Arod sont, par exemple, actuellement prêtés par la Fondation Boubo-Music (Suisse) : https://quatuorarod.com/ et https://www.boubomusic.com/

    • Grâce au soutien de mécènes, le Quatuor Modigliani joue quatre magnifiques instruments italiens : Amaury Coeytaux joue un violon de Guadagnini de 1773 Loïc Rio joue un violon de Guadagnini de 1780, Laurent Marfaing joue un alto de Mariani de 1660 et François Kieffer joue un violoncelle de Matteo Goffriller "ex-Warburg" de 1706 : https://www.modiglianiquartet.com/2/biographie

  • En 2005, la Banque de Suisse Italienne (BSI) a confié à Renaud Capuçon le Vicomte de Panette (1737), un Guarnerius qu'elle acquiert auprès de la succession Isaac Stern.

  • Et voici, pour finir ce petit aperçu, comment Ophélie Gaillard parle de l'acquisition de son violoncelle :

"Les relations d’un musicien avec son banquier ? Eh bien, au gré des fluctuations d’une vie professionnelle faite de rebondissements et d’imprévus, qui n’a pas surpris un regard tantôt bienveillant, tantôt agacé, qui n’a pas entendu : « Ah la vie d’artiste ! » ? Et puis, un jour béni, vous rencontrez un banquier mélomane, et, plus improbable encore, vous le retrouvez lors d’un concert au fin fond de la Bretagne. De fil en aiguille, un espoir naît soudain et bientôt le rêve se réalise : le CIC fait l’acquisition d’une splendide basse vénitienne, fabriquée en 1737 à Udine par Francesco Goffriller, qui possède une belle voix timbre et profonde, un bois et un vernis patinés et denses, comme illuminés de l’intérieur.

Les instruments vénitiens, et tout particulièrement ceux de Matteo Goffriller et de son frère Francesco, sont très appréciés des violoncellistes. Leur sonorité est à la fois ample, chaleureuse et puissante. Cette lutherie généreuse, lumineuse, permet à l’interprète de chercher des couleurs inouïes, d’être perçu clairement avec un orchestre symphonique, et dans les plus grandes salles de concert. Ce violoncelle convient à la perfection au répertoire solistique et de musique de chambre, aussi bien baroque que romantique ou moderne. C’est une belle relation de confiance qui s’est instaurée entre une banque audacieuse, un splendide instrument, matière vivante et vibrante, et une musicienne dont les perspectives de recherche sonore sont démultipliées."


Un réseau à renforcer en France et en Europe

Un nombre très important d’instruments anciens a quitté l’Europe pour trouver des acquéreurs dans le monde entier :

- Chi mei Culture Foundation

- Nippon Music Foundation

- The Stradivari Society

Cette mondialisation renforce l'effet d'engorgement..


Calamus Conseil réalise actuellement un audit pour comprendre de manière très précise les freins, les écueils à éviter, mais aussi la manière de créer des opportunités. Le cabinet entend s'associer avec ceux qui s'intéressent de près à ces questions (musiciens, luthiers, experts, fondations, fonds de dotation, mécènes particuliers, banquiers privés et gestionnaires de patrimoine, associations...) Une nouvelle page s'écrit, que c'est enthousiasmant !


Si vous avez envie d'en savoir plus sur l'histoire de la lutherie, jetez un œil ici :

Si vous avez envie de défendre cette cause, écrivez-moi à cprost@calamusconseil.fr

Si vous êtes un philanthrope mélomane, écrivez-moi à la même adresse,

Si vous avez un Stradivarius dans votre grenier, écrivez-moi aussi !


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