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Photo du rédacteurCamille Prost

Le disque que j’emmènerais sur une île déserte...

Il y a quelques semaines, je me suis prêtée à cet exercice de style pour le magazine Diapason :



Mais j'ai eu envie ici de vous en dire plus ...

Et vous, qu'emporteriez-vous dans votre baluchon ?


Mon disque :

La Chanson perpétuelle

Poème de l’amour et de la mer

Mélodies

Jessye Norman avec le Quatuor de l'Orchestre philharmonique de Monte Carlo et Michel Dalberto. ERATO, 1977.


« Je dois dire que parfois, lorsque j’entends votre voix, cela me brise le cœur. Mais à chaque fois, lorsque j’entends votre voix, cela soigne mon âme »

Toni Morrison à propos de Jessye Norman


Sur cette île - que j’imagine pour les besoins de la cause, généreuse en ressources disponibles à portée de main -, j’aurais certainement envie de nourrir ma solitude de Robinson d’une mélodie, partant du principe que l’alliance de la poésie et de la musique donnerait du relief à ces longues journées d’isolement. Alors, assise face à la mer et au crépuscule, j’écouterais la voix chaude et ample de Jessye Norman dans la Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson (1855-1899).


Dans cette version inégalée, le velours de la voix de Jessye Norman épouse tous les reliefs de la ligne mélodique. C’est tour à tour une lamentation, un cri, un murmure et chacun de ces instants possède un degré unique de chaleur et de coloration vocale. Comment fait-elle pour avoir une palette de couleurs aussi vaste dans ce registre dramatique ? C’est plus qu’incarné, c’est purement charnel. Car, même dans la peine la plus destructrice, même dans la douleur la plus intense, Jessye Norman est généreuse. Je ne suis pas sûre d’avoir envie de comprendre comment la magie opère : sa manière d’attaquer les notes, peut-être, sa gestion du souffle dans la conduite de la phrase et la souplesse et l’organicité du phrasé, assurément. Certainement un peu de tout cela et plus encore. Il me faudrait rester, je crois, bien longtemps sur cette île pour en percer le secret !


Ernest Chausson, c’est aussi pour moi l’univers de la musique française que je chéris tant, un univers sonore de raffinement, des harmonies suaves, de l’orchestration entre la finesse de la dentelle et la sensualité d’une soie irisée…même si, ici, dans ce cas précis, le tissu possède quelques caractéristiques empruntées aux allemands, à Wagner notamment, à l’époque, roi du tissage harmonique de l’autre côté du Rhin !


Sur le sable, face à l’immensité, je méditerais sur les styles, l’avènement de certaines couleurs grâce à une utilisation toujours plus libre de la tonalité ainsi que sur le choix d’un instrumentarium particulier puisque il existe différentes versions de cette pièce : voix et orchestre, voix et piano et, enfin, voix, piano et quatuor à cordes. Je me souviendrais avec bonheur des différences, des variations de timbres entre ces trois versions.


Ayant beaucoup travaillé sur la plasticité du quatuor à cordes avant de me retrouver embarquée dans cette aventure insulaire, je considérerais aussi cette œuvre comme un pont entre l’univers de la mélodie et celui du quatuor ; à travers elle, je songerais avec délice à l’ensemble de ce répertoire que j’aime tant. De Haydn à Beethoven. De Mozart à Bartók. De Schubert à Ligeti. De Dvořák à Webern. Chaque pièce est une porte d’entrée vers une galaxie d’autres œuvres, reliées à elle grâce à leur esthétique, leur forme, le sujet qu’elles traitent, la formation qu’elles mobilisent. J’aime l’idée que ce disque de mélodies me guide et m’aide à me souvenir d’autres œuvres, comme une sorte de carte aux trésors intérieure, comme la clef d’un vaste palimpseste musical.


Camille Prost



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