La musique est l'art le plus abstrait qui soit, la musique est impalpable, invisible, impossible à figer, à emprisonner. Elle est volatile, mouvante, changeante. Elle est un flux, un continuum. La musique est tout à la fois l'art de l'impression passagère et l'art qui structure et ordonne le temps. Alors comment en parler ? Vladimir Jankélévitch a magistralement théorisé son caractère ineffable. Ses écrits ont d'ailleurs jalonné mon parcours et ont profondément marqué mon rapport à la musique. Mais si elle est, comme il le dit, non pas en-deça, mais au-delà des mots, comment en parler ?
J'ai envie d'évoquer aujourd'hui mon rapport à l'écriture et mon travail qui, au quotidien, m'amène à devoir dire et décrire la musique.
I. Parler musique entre connaisseurs
La première manière d'en parler, c'est celle des professionnels et des fins connaisseurs. Comme tout domaine spécialisé, la musique a son vocabulaire, souvent italien, parfois allemand, rarement français. On parle de tempo (adagio, presto, allegro), de modes de jeux (pizzicato, staccato..), de formes (forme sonate, lied, durchkomponiert...), de genres (symphonie, concerto, poème symphonique, opéra...) et de sous-genres (singspiel, masque, opérette...), on jargonne, on passe d'une langue à l'autre, tout le monde semble se comprendre. Écoutez un enregistrement d'une répétition d'orchestre, vous découvrirez à quel point les musiciens se comprennent grâce à une sorte de langue internationale spécifique qui mêle, à des degrés divers, l'anglais, l'italien, parfois le français et l'allemand...
Et quand ça ne se passe pas sereinement, avec le Maestro Toscanini, ça donne ceci :
Mythique !
Cette langue des connaisseurs comporte aussi quelques lettres (les formes -ABA' par exemple- et les notes elles-mêmes dans ma notation anglo-saxonne) et beaucoup de chiffres : métriques, chiffrage des accords (en particulier dans la musique baroque ou le jazz), numéros de mesure, diapasons...
Quelques notions évoquent davantage la géométrie, par exemple, dans le cas du dodécaphonisme (renversement, rétrogradation, récurrence du renversement...) Musique et mathématiques sont sœurs depuis la nuit des temps, cet air de famille laisse des traces !
Besoin de faire un point sur la tonalité, l'atonalité et le dodécaphonisme ?
II. Penser la musique
J'aurais donc pu me contenter de jargonner, sauf que très vite, j'ai eu envie de comprendre, de théoriser, de conceptualiser. Ce passage de la musicologie à la philosophie de la musique m'a permis de me demander "pourquoi" :
Pourquoi l'émotion née de l'écoute n'est-elle pas la même que celle qu'on éprouve devant un tableau ?
Pourquoi un genre naît-il à un moment précis de l'histoire de la musique ?
Quelle est la nature de l’œuvre musique ? Peut-on parler d'essence ? Pourquoi ?
Ici s'ouvre un nouveau champ lexical et, force est de constater que les philosophes jargonnent au moins autant que les musiciens ! Derrière chacun de leurs mots - et c'est bien la fonction-même du concept philosophique- se cache une conception du monde, une vision, voire une métaphysique. Jankélévitch ne dit pas la musique comme Adorno, Platon ne pense pas la musique comme Hegel et la philosophie analytique, à l'origine anglo-saxonne, vient se heurter à la tradition phénoménologie à grands coups de concepts radicalement différents...
Pour ceux qui n'ont jamais entendu la voix de Vladimir Jankélévitch parler de la musique et de l'expérience du concert :
III. Raconter la musique, à tous
Même si j'ai toujours veillé à ne jamais tenir de discours trop obscurs, à privilégier la clarté et les termes déjà existants aux néologismes fumeux, je me suis vite rendue compte que je faisais fuir pas mal de monde avec ces discours de spécialiste ! J'ai donc essayé de dire la musique de manière claire, précise, simple, transparente et immédiate. Je ne sais pas si cela s'appelle de la vulgarisation -le terme n'est pas très engageant-, de la médiation ou de la pédagogie, mais j'y prends depuis quelques années un plaisir incroyable. J'aime parler des œuvres, les raconter, les expliquer, les partager... C'est notamment ce que je fais lorsque j'écris des notes de programme pour des concerts, dans le cadre de commandes de textes.
Alors, quand on tâche d'exclure de son vocabulaire les termes musicaux techniques et les concepts philosophiques, que reste-t-il ?
IV. De la musique avant toute chose ou le recours à l'image
Il reste l'image, la comparaison, la métaphore... j'y ai souvent recours.
Il n'est pas ici question de faire de la poésie - D'autres s'y sont essayés bien avant moi, peu ont finalement réussi- , mais plutôt de créer des rapports, de confronter, de juxtaposer des univers, d'affiner des correspondances visuelles et sonores.
Il s'agit, enfin, de parler d'émotion et de ressenti : "c'est un mouvement bouleversant", "c'est une mélodie espiègle et bondissante qui donne envie de danser", "c'est une forme qui permet de maintenir la tension et de densifier la charge expressive", "c'est une danse à l'énergie tellurique"... Il faut qualifier, caractériser. J'aime par dessus tout trouver le bon adjectif qualificatif !
La musique me pousse à chercher le mot juste, l'expression percutante, l'image la plus adéquate. La musique me pousse à varier mon vocabulaire, à enrichir mon panel de qualificatifs. La musique me donne, enfin, l'occasion de mettre en mots, de tâtonner, de me mettre puis me remettre à l'ouvrage, et d'avoir ce rapport à l'écriture quasi quotidien qui m'est si précieux.
La musique est mon sujet de prédilection, cet ouvroir à l'infini potentiel rédactionnel, cet horizon asymptotique - puisque essentiellement ineffable- et cette source d'imagination intarissable.
Si vous avez besoin d'une plume, pensez à Calamus Conseil et écrivez-moi à contact@calamusconseil.fr
Nul doute que nous trouverons ensemble les bons mots !
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